Je vous livre ce passage de mon livre sur mon enfance en Algérie.
Toutes les nuits ou presque je retournais et je retourne encore même à 76 ans, dans ce pays, c'est pourquoi je n'ai rien oublié.
Joie et trouble!
Pas de paragraphe car tout se passe très rapidement.
« Je marche sur les galets de la plage, ils sont doux et chauds. L’odeur iodée des algues fines et l’air salé sur mon visage m’enivrent. Je flotte maintenant au-dessus des vagues, je me sens bien. Comme il fait beau et je suis si légère ! Je suis partout à la fois, je cueille des fleurs jaunes, des brassées de fleurs, du géranium odorant au feuillage ciselé, je reviens sur la plage, je cours, je vole, mais oui, je vole, je ramasse des coquillages, je scrute l’horizon, je cueille encore des fleurs, je monte la rue vers le centre du village, je respire, je vis ! Les maisons si blanches sont toujours là. Je suis dans la montagne entre les pins et les chênes-lièges, je redescends, je suis infatigable. Je suis libérée ! Libérée de cette paroi du temps. Le rideau s’est enfin ouvert. Des émotions déferlent en moi, je suis fragile et forte à la fois. Je vis dans le magique et dans le réel. Je me sens en harmonie dans cet espace qui m’est connu et que j’attendais de retrouver depuis si longtemps et en même temps j’ai une crainte, que j’essaie de refouler au plus profond de moi. J’ai conscience de ne plus raisonner, je subis. D’où me vient cette sensation de bien-être ? D’où me vient ce malaise qui s’insinue petit à petit ? Il faut que je sache ! Mais non, à quoi bon, plus tard ! Il y a encore des fleurs à cueillir, des coquillages à ramasser, des ruelles à visiter ! Il fait si beau ! D’ailleurs il fait toujours beau ici. Ici ? Mais où suis-je donc ? Tu le sais bien où tu es ! Tu le sais ! Mais oui, je le sais ! Enfin ! Enfin, je suis de retour au pays, oui… C’est ça, je suis revenue dans mon pays. Mon Pays ! Quel bonheur ! J’ai réussi enfin à revenir, j’ai tout bravé et j’ai réussi ! La Méditerranée est là, immense devant moi, les paquebots au loin, je les vois, je les reconnais. Comme avant quand j’avais dix ans ! Comme avant ! J’ai pris le bateau et je suis arrivée à Gouraya ! Gouraya enfin ! Quel bonheur ! Oui mais…Je sens encore en moi ce trouble, comme une appréhension. Malgré moi, je frissonne d’inquiétude mais aussi de joie. Je suis au supplice. Je n’ai plus de raisonnement. Je commence à douter, à m’affoler. Il faut que je prenne garde, la chute va être terrible. Il faut réfléchir et vite, vite. La torture commence à s’insinuer, de plus en plus lancinante ? Qui est près de moi, en ce moment ? Avec qui est-ce que je partage ces moments de bonheur ? Et puis quel bateau ai-je pris pour arriver ici ? Ou alors quel avion ? Comment s’est passé le voyage ? Il faut à tout prix que je sache. C’est la condition pour ne pas sombrer dans le désespoir. Depuis quand suis-je ici ? Oh ! Tout s ‘embrouille dans ma tête. Non, ce n’est pas possible, la cassure ! Le rideau se referme, c’est encore ce rêve, ce rêve qui revient tout le temps, il faut que je revienne sur terre, c’est trop dur. Et je me bats de toutes mes forces. Finalement je réussis à m’extirper de ce guêpier, je réussis à me persuader que c’est un rêve. Un beau rêve qui va se transformer en cauchemar si je ne réagis pas. Le matin, au réveil, je me sens abattue. Une impression de vide, il me manque quelque chose, on m’a pris quelque chose ! Mon cœur est resté accroché en lambeaux sur chaque arbre de la forêt, sur chaque rocher des criques, dans chaque ruelle de ce village. La nuit je me retrouvais enfin dans ce pays qui m’a vue naître, telle que j’étais. Moi-même !
Ma Terre, je l’avais emportée dans mon cœur, dans ce pays que je ne connaissais pas et qui allait devenir le mien ; je l’avais trimballée à travers mes âges et je la retrouvais chaque nuit.»
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