Un passage de mes écrits sur Gouraya
.... Gouraya étant très cosmopolite, la cuisine suivait le mouvement : espagnole, arabe, juive, française etc.… Et maman agrémentait tout ça à sa façon. Elle avait le chic pour retrouver une recette sans avoir à la demander. Le seul fait de goûter un plat lui en indiquait la composition - je tiens ça d’elle - ainsi avions-nous le plaisir de manger toujours quelque chose de nouveau.
Ce qu’elle réussissait le mieux, c’était le poulet rôti en cocotte à
l’huile d’olive. C’est banal comme plat mais il faut le réussir. C’était les poulets de notre poulailler, mais comme papa n’aimait pas les tuer, il demandait toujours à un indigène qui passait
derrière la gendarmerie de le faire et on savait qu’il faisait toujours une prière avant de tuer le pauvre animal. En fait, mis à part le porc, on mangeait allal ! Le beefsteak était rare
sur notre table. Nous avions une profusion de légumes, car papa aimait le jardin et il se targuait d’avoir un potager avec une variété impressionnante de légumes et d’arbres fruitiers. Ainsi,
poivrons, fèves, tomates, courgettes prenaient régulièrement place sur notre table et nous aimions. Alors la choukchouka - prononcer tchouktchouka - qui était à base de poivrons,
oignons, aubergines ou courgettes, de tomates et d’œufs pochés était couramment dégustée. Le couscous, n’en parlons pas, il avait droit à la première place.
La dernière fois que nous avons mangé du couscous à Gouraya, c’était la veille de notre départ pour la France. Nous étions invités
partout et le midi nous avions déjeuné chez le garde champêtre. L’après-midi nous sommes allés rendre une dernière visite au Caïd Lebtahi. Et il y avait un couscous qui nous attendait. Nous
n’avions plus faim ! Mes parents et mes frères se sont forcés et Arlette et moi avons eu droit à un couscous au miel avec des raisins secs. C’était délicieux ! Le Caïd, qui appréciait
mon père, nous a offert un superbe châle, vert et blanc, avec des grandes franges. Nous avons eu droit à une dernière visite aux tombeaux puniques et nous l’avons quitté.
Ce qu’il me reste de cette visite, c’est que je ne comprenais pas que
nous fussions seuls à manger avec le caïd. Sa famille n’était pas avec nous. Et pourtant nous entendions les enfants qui riaient et qui se cachaient pour nous voir. Moi, cela me gênait. Les
femmes nous servaient, c’était tout.
Je crois que je n’arriverais jamais à admettre cette différence. Pour moi, il n’y a pas d’être
supérieur ; l’intelligence de même que les traits physiques du corps humain n’impliquent en aucun cas une inégalité. Notre mère nous a appris la tolérance. Aucune moquerie, aucun mouvement
raciste, aucune discrimination n’était de mise chez nous. Si nous avions le malheur de signaler simplement que telle personne avait un comportement inhabituel, ou un physique étrange, elle nous
remettait à notre place. Qui étions-nous pour juger ainsi ? Si nous étions à la place de cette personne, comment agirions-nous ? Si bien qu’il ne nous venait plus à l’idée de critiquer
quelqu’un. Il est vrai qu’on est toujours étranger à quiconque n’est pas de notre culture. Les comportements seraient différents si, comme dans notre famille, l’éducation des enfants avait
commencé très tôt. Je pense que c’est comme pour les animaux, l’instinct est là. On ne naît pas raciste, on le devient. Tout dépend qui nous a éduqués....
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