N'est-elle pas belle cette vieille machine? Dans le fond il reste du papier blanc jauni et du papier carbone!
Un extrait de mon livre sur mon enfance en Algérie.
....et le bureau des gendarmes jouxtait notre salle à manger, sa fenêtre donnait sur la cour et l’on entendait papa taper sur sa machine à écrire. Il l’avait achetée à crédit, elle n’était pas fournie par l’armée et il s’était privé pour avoir cet outil. Il ne tapait ses rapports qu’avec deux doigts (en ce moment, moi, c’est avec trois doigts, ce n’est guère mieux) et avec une rapidité époustouflante. Et quand nous voulions qu’il nous apprenne à écrire sur sa machine il refusait toujours disant qu'il y avait une technique, la dactylographie et que nous prendrions de trop mauvaises habitudes. Il était fier de sa machine Rémington portable. Nous l’avons rarement vu écrire à la main sauf sur ses derniers jours. Je le revois intercaler une feuille de papier carbone bleu marine entre deux feuilles de papier blanc très fin, ainsi gardait-il toujours un double de ses rapports. Et ses rapports étaient impeccables : sans faute et d’un français parfait. Il était intolérant vis à vis des fautes d’orthographe. D’ailleurs à ce sujet nous avions droit presque tous les ans (pas plus heureusement !) à une dictée, nous ses enfants. Mais cette dictée était spéciale. Il arrivait que de jeunes hommes veuillent intégrer la gendarmerie et le premier test qu’ils devaient passer était une dictée (il fallait que les rapports écrits fussent exempts de fautes d’orthographe) et notre père servait d’examinateur. Et Arlette et moi, nous n’y coupions jamais. Cela lui donnait ainsi une idée du niveau scolaire de son élève ! Et c’était généralement très faible. Aussi aidait-il les postulants en exagérant la diction : « j’ai dit bocage et pas boccage !
Je l'ai découverte dans le grenier, pleine de poussière! Combien de rapports a-t-elle reproduits, je ne saurais le dire!
J’aimais le bruit que faisait le chariot de sa machine et je me souviens de ses difficultés pour changer le ruban : ses mains étaient de vrais battoirs ! Il nous faisait peur quand il nous disait : « veux-tu goûter à ma giroflée à cinq branches ? » en nous présentant sa main ouverte – il pestait à chaque fois qu’il se déroulait mal. Aucun mot grossier n’était prononcé – nos parents étaient d’une politesse rare, je ne les ai jamais entendu prononcer une invective, tout au moins jamais devant nous. Quand nous sommes arrivés en France, il nous fallut faire de grands efforts pour supporter les grossièretés que nous entendions. Il nous paraissait absolument déplorable que le français que nous entendions parler en France fût aussi incongru. Grossièretés ajoutées au jargon régional, nous avions du mal à comprendre ce français-là.
Cette machine à écrire est toujours chez nous, c’est une relique.
J'ai retrouvé dedans une lettre adressée au Procureur de la République, écrite en plusieurs exemplaires. Mon père avait 81 ans à l'époque et pas une faute d'orthographe. Beau n'est-ce pas? Je ne l'avais jamais ouverte quand je l'avais récupérée!
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