Mitou sauvé des eaux
Quand nous sommes arrivés en France, l’espace nous manquait. St Sébastien était une petite ville de huit mille habitants, en lisière de Nantes. Cela n’avait rien à voir avec Gouraya, petit village comptant seulement deux cent cinquante français et autant de musulmans. La campagne nous appartenait. La Liberté !
Nos chiens ont dû être enfermés et nous devions les promener en laisse. Un après-midi que nous étions avec ma mère, ma sœur et les deux chiens en balade sur les bords de la Loire, nous entendîmes des gémissements si faibles que nous devions tendre l’oreille pour saisir d’où cela pouvait provenir. Et puis cela s’arrêtait et reprenait encore plus douloureusement. Nous étions en bordure d’un petit bras de Loire, à un endroit appelé la Becque. Evidemment les cris, très certainement un bébé chat, provenaient de l’autre côté de ce ruisseau. Pas de pont ! Ou si loin ! Il y avait, à un endroit, une sorte de gué assez tentant pour une personne téméraire comme l’était notre mère. Mais il était recouvert d’un bon petit niveau d’eau et en plus d’une sorte d’algues glissantes. Elle n’a pas hésité une seconde. Elle nous a confié les chiens qui commençaient à s’énerver et qui se mirent à pleurer dès le début de sa traversée. Arlette et moi en étions malades. Elle savait nager, pas de risque, mais nous avions peur qu’elle ne se casse une jambe. A l’aller tout se passa bien. Dans le champ qui bordait le ruisseau il y avait une taille de bois. Des stères avaient été entreposés là. Maman s’en approcha, guidée par les appels. Nous ne pouvions la suivre du regard, la berge étant bordée de saules. Il fallait patienter. Mais pas longtemps. On la vit revenir, les deux mains serrées contre sa poitrine. Elle avait réussi et c’était bien vivant. L’angoisse du retour. Nous ne pouvions rien faire pour l’aider, les deux chiens nous en empêchant. Elle finit par terminer son exploit et tout heureuse nous présenta Mitou, bébé noir et blanc, environ cinq semaines, pas plus, à moitié aveugle de faiblesse, maigre à ne pas décrire.
Et c’est là que j’intervins. J’avais un bébé chat à nourrir, à sauver, à bichonner. J’étais heureuse, bien sûr. Nous l’avons sauvé. Il a grandi, grossi. Il était superbe. Il était toujours sur mes genoux, surtout quand je faisais mes devoirs. Je finissais par avoir mal aux jambes, je n’avais que douze ans et il était lourd pour moi. Mais il n’était pas question de le déranger. Je lui récitais mes leçons et je le disais aussi instruit que moi. Combien d’années l’avons-nous gardé ? Je ne m’en souviens plus. Un matin, il n’est pas venu me réveiller au lit. Le soir mon frère Jean-Claude m’annonça qu’en allant travailler le matin en scooter, il avait vu sur la route à quelques dizaines de mètres de chez nous deux chats écrasés. Mon pauvre Mitou coureur venait de nous quitter.
Extrait de mon livre: Une bien belle petite famille
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