Mémé raconte.
Oh! dame , là c’est un défi qui entre dans la tête d’Yvette, elle va plonger dedans je sens ça ! Moi j’ai rin à raconter sur le sujet, à part peut-être kèkes p’tits voyages en car avec les vieux du village, non, j’ai rin à dire.
Elle ! Si ! Quand elle était toute mouflette, dans l’pays où qu’elle est née, elle disait qu’c’était la liberté, elle savait point ce qu’allait se passer après l’avoir laissé, dame sûr. C’est là qu’avait commencé son amour pour les animaux et le bled, la nature quoi. Sa mère lui avait appris la juste valeur des choses de la vie, savoir donner, sans rien attendre en retour. Un esprit sain dans un corps sain qu’elle lui disait. Voilà, dame je répète c’qu’elle dit, hein ? Même maintenant ; chette-là peut pas rencontrer un mendigot qui lui quête une pièce, elle sort toujours sa bourse. On a beau z’y dire que c’est pas ces gences là qu'ont le pluss besoin, elle répond qu’elle a la conscience tranquille, qu’elle réfléchit pas ! Des fois ça pourrait aller à un vrai pauvre sans l’sous. Alors !
Ghislaine , mes salutations bien distinguées à Monsieur Totor.
(Hein quand j'veux, j'sais bin causer!)
Là Yvette a écrit un poème sur son pays natal, son village, elle a le mal du Pays !
Là-bas, c’était chez nous.
Un gentil petit village qui s’allongeait,
Tout blanc, sur la seule route nationale,
Sinueuse et escarpée, d’Oran à Alger,
Et que bordait un pittoresque littoral.
Là-bas, c’était chez nous.
Le ciel et la Méditerranée, toujours bleus,
Se confondaient sur un horizon très lointain.
Les plages des criques avaient des tons cuivreux,
Des galets, des coquillages, du goémon fin…
Là-bas, c’était chez nous.
Des grands palmiers bordaient une allée en pierraille,
(Mes genoux s’en souviennent encor), descendant
Vers une petite église au charmant vitrail
Encastrée au fond d’un bordj éclatant de blanc.
Là-bas, c’était chez nous.
Et le soleil si chaud ! Un vrai soleil ! Magique !
Il avait le don de tout métamorphoser.
La langue cosmopolite à l’accent typique,
Chantant à nos oreilles d’enfants, nous plaisait.
Là-bas, c’était chez nous.
Les parfums des oranges et du mimosa
Se mélangeaient à ceux intenses des épices,
Des melons, des bécess et du miel des zlabias,
Des olives et des couronnes à l’anis.
Là-bas, c’était chez nous.
Dans les cafés maures, dominaient le koumoun,
Le felfel, d’odeurs puissantes, la loubia,
Mélangées au poisson fumant sur le canoun,
Aux vapeurs du thé à la menthe et au cawa.
Là-bas, c’était chez nous.
Dans leurs gourbis, des musulmanes caquetant,
Roulaient avec doigté le merveilleux couscous
Autour d’un tajine en bois pour le Ramadan
Et les hommes à chéchia rouge et grand burnous.
Là-bas, c’était chez nous.
Et les mots ! Les noms des villages!
La mouna ! Les makrodes ! La caca d’chat !
Les plaquemines écarlates ! La kémia ! La harissa !
Gouraya ! Cherchell ! Lafayette ! Bou-Medfa !
Et s’affolent et s’envolent les vers et les rimes …
Là-bas ! LA-BAS …
Et encore maintenant c’est toujours chez nous ;
Et si vous y passez, alors racontez-nous.